Rome, Panthéon
Face à la beauté surhumaine et à l’état de conservation de ce musée à ciel ouvert, Florentin était émerveillé. Devant ces ossatures de Titan, il posait toutefois un regard déconcerté et interrogateur entre la fragilité des civilisations enchevêtrées dans les temps immémoriaux et le chaos inquiétant, inextricable, attisé par les haines, qui enveloppait le monde présent vers le futur dans ce siècle à peine né et déjà déchiré.
Laissant le hasard le conduire à travers les ruelles, la Piazza della Rotondo s’ouvrit devant ses yeux laissant apparaître le sanctuaire de tous les dieux, le Panthéon de Marcus Agrippa. Il s’empressa de mémoriser cette merveille romaine dans son iPhone.
Il suivit la foule, traversa le pronaos et sa forêt de colonnes de marbre puis les portes de bronze colossales ouvertes sur l’antique. Divine apparition.
Florentin était pénétré de beauté devant la symbologie du temple et de sa coupole de lave dans laquelle s’harmoniaient la sphère terrestre et la sphère stellaire, alliant les Humains et les Dieux. De son oculus, grand vide ouvert vers l’Univers et rayonnant comme un bouclier d’or, la lumière jaillissait en reflets sur le sol de marbres cipolins, marqueté en opus sertile.
Ce cercle de lumière voilait dans son obliquité, depuis les temps anciens, l’impénétrable secret des Dieux. Depuis les symboles liés aux divinités, statues des Dieux, des empereurs, tombeaux des rois d’Italie, de Raphaël jusqu’aux fenêtres à claustras et chapiteaux divers, le regard de Florentin se perdait dans les moindres détails.
Avant de quitter la coupole, il porta une dernière fois le nez aux Dieux afin de mémoriser ce splendide trésor antique.
Un groupe de touristes, écouteurs sur les oreilles, entra accompagné d’une guide qui parlait à voix basse dans son micro-cravate. Après un court silence, le front plissé comme un cuir, elle dit:
— Florentin! Florentin? Ce n’est pas possible…
— Clarisse?
Après quelques mots rapidement échangés, elle lui tendit une paire d’écouteurs et lui proposa de faire la visite.
— On se verra juste après dit-elle, ça fait tellement longtemps, je n’en reviens pas.
Florentin écoutait la voix de Clarisse qui défilait sur le fil du peloton de souvenirs qui se déroulait dans sa mémoire. Cinquante ans, un demi-siècle s’était écoulé, ils s’étaient perdus mais les sentiments passionnés et partagés cachent bien souvent leur beauté entre les murs de l’intemporalité, beauté que le temps n’avait pas altérée.
Il lui frôlait de temps à autre son regard. Les minutes devenaient des heures et cette heure lui paraissait un nouveau demi-siècle.
Ils sortirent enfin du Panthéon et la Piazza della Rotonda, noire de monde, fut témoin d’une longue étreinte qui aurait pu, en son temps, amuser Fellini.
— Tu as du temps? demanda Florentin
— Plus que jamais répondit Clarisse qui ajouta:
— On va boire un verre chez Clemente, il y a trop de monde ici. Chui trop contente.
La place et les ruelles furent traversées d’éclats de rire, comme un pied de nez romain fait au destin.
— Jamais je n’aurais imaginé te retrouver ici au Panthéon…de Rome. La dernière fois que nous nous sommes quittés, c’était à La Celle Saint Cloud, fin juin 1968. Je t’avais raccompagné chez toi après L’Ecritoire, place de La Sorbonne, proche du Panthéon parisien...