J'avais cinq ans lorsque j'ai quitté Arfons et cette aurore d'enfance me laisse encore des souvenirs imprécis que seuls les écrits de ma mère et les photos viennent ranimer comme un souffle sur la braise. Les années de ma prime enfance m'ont marqué au fer rouge tout au long de ma vie. Arfons restera à jamais le village où le mot humanité avait un sens et pourtant les temps furent difficiles pour toute ma famille. Onze longues années d'adversités s'étaient écoulées depuis la retirada, terrible exode des républicains espagnols en février 1939, jusqu'à cette année 1951 où la vie semblait reprendre enfin le dessus malgré les stigmates laissés également par la deuxième guerre mondiale en France. La famille venait de vivre deux guerres successives. Mais chacun possédait désormais la clef du chez soi. La grisaille s'estompait. Seul restait le gris des toits d'ardoises d'Arfons, un gris marqué comme une empreinte dans ce village de mon coeur. C'est le village où nous sommes nés, ma sœur Marie et moi et où ma Mère Conception Fons rencontra en 1941 par hasard sur la place, Joseph Canagueral qui devint plus tard son mari et notre Père. Conception et Joseph se marièrent le samedi 26 septembre 1942 à la mairie de Laprade dans l'Aude et s'installèrent pour quelques années à Arfons, Chemin des Cabanes. Ma sœur Marie naquit le 4 avril 1943 et moi, le 18 février 1946. Dans cette maison. À l'horizon, après les années noires, les jours étaient plus clairs.
Bien longtemps plus tard, j'ai voulu, symboliquement et modestement, signer mes romans "François DarFons Canagueral" dont le nom du village Arfons incluait le nom de jeune fille de ma Mère.
Au nom de tous les miens disparus.